15 Sep 2023

Le syndrome du CAC 40 : L’arbre qui cache la forêt

#Épisode 12

Le syndrome du CAC 40

Le syndrome du CAC 40 ? C’est l’amalgame qui est fait, pour cause d’idéologie, entre les très grandes entreprises et toutes les autres entreprises.

Ce syndrome s’exprime souvent dans les manifestations : « A bas les patrons ! », « Mettez fin aux super profits », « les salariés exploités ! »

On vise les très grandes entreprises, à tort ou à raison, et on met toutes les entreprises dans le même sac. Les petites, TPE et PME, les moyennes, ETI et les grandes et très grandes qui font des milliards de CA et/ou de profits.

A force de répétition, ces slogans qui sournoisement construisent l’amalgame, finissent par faire croire que toutes les entreprises gagnent des milliards, toutes exploitent leurs salariés….

Le monde de la crèche

Le monde de la crèche connaît également ce même syndrome du CAC 40. Les slogans fusent: « super profits sur le dos des bébés », « quête effrénée de profits », « bébés maltraités et pressions sur les salariés », « tout ce que la privatisation des crèches fait aux enfants », « fonds publics détournés »….

Toutes ces vilenies sont, en vrac, attribuées à l’ensemble des acteurs du secteur.

Pourtant, les crèches, comme l’économie en général, regroupent des entreprises de tailles très différentes. Les chiffres cités plus bas sont, pour la plupart, extraits de l’excellent “Baromètre Économique de la Petite Enfance 2019 ” de la FFEC.

En 2018 (source CNAF et ONEP), les crèches privées représentaient env 80 000 places, soit 20% de l’ensemble de l’offre d’accueil en crèche :

  • 32441 places d’accueil : micro-crèches, soit 3200 établissements (10 enfants par crèche)
  • 47628 places d’accueil : autres crèches, soit environ 1443 établissements (33 enfants/crèche)

Elles se répartissent de la manière suivant selon la taille de l’entreprise :

  • Les grands réseaux : plus de 200 établissements, crèches et micro-crèches. 5 acteurs en France. Ils représentent 80% de l’offre de places 
  • Les réseaux : 30-60 établissements, crèches et micro-crèches. 20-30 réseaux
  • Les petits réseaux : 15-30 établissements quasi exclusivement des micro-crèches. 40-50 réseaux.
  • Les très petits acteurs : 1-5 établissements quasi exclusivement des micro-crèches. Probablement 2500-3000 gestionnaires indépendants, isolés ou franchisés.

(source FFEC baromètre 2019)

Le financement des micro-crèches se fait essentiellement en mode « paje » par le complément de libre choix du mode de garde (CMG) : les parents versent l’intégralité de la mensualité à la crèche, la CAF leur verse le CMG, entre 669€ et 1202€, selon le type de famille et le revenu.

L’employeur d’un des parents peut réserver une place. L’entreprise verse un loyer en échange d’une forte réduction (entre 15% et 20 %) de la mensualité pour le parent. Le total des deux, conduit à une mensualité plus élevée pour la place réservée qui est la base du modèle économique de la micro-crèche.

Peu de gestionnaires de micro-crèches bénéficient de ces aides des employeurs : 

  • 27% des places en micro-crèches sont réservées par des entreprises
  • 25% des gestionnaires n’ont aucune place entreprise

(source baromètre FFEC 2019)

La rentabilité n’est pas un gros mot ! 

Elle est légitime et gage de pérennité.

Elle est la juste rémunération de l’investisseur. Pour les solitaires que sont la plupart des gestionnaires de micro-crèches, elle doit inclure une juste rémunération de cadre, augmentée de la rémunération du capital investi et du risque pris. 

D’autant que les micro-crèches ne bénéficient (sauf rare exception) d’aucune aide à l’investissement et les gestionnaires sont obligés de se porter caution pour les emprunts qu’ils ont obtenus.

La rentabilité dépend du prix de la place (plafonné à 10€/heure par la CAF, depuis 12 ans) du remplissage de la crèche et de ses frais fixes. Les gestionnaires débutants sous-estiment la difficulté liée au remplissage de leur établissement et fixent souvent, trop bas, les prix de l’accueil.

La rentabilité des micro-crèches est donc très aléatoire : beaucoup de gestionnaires peinent à se verser une rémunération. Elle devient à peu près pérenne lorsque quelques entreprises réservent des places.

Les petits réseaux, quant à eux se trouvent, en plus, confrontés à la nécessité de créer des fonctions supports : a minima, administration, RH, communication. L’effet de seuil est assez brutal entre 15 et 20 établissements : les contributions générées par chaque crèche pourraient générer une bonne rentabilité. De fait, elles sont largement amputées par ces indispensables coûts fixes.  

Il faut très vite dépasser ce seuil critique.

A titre d’exemple, pour assurer le bien-être des professionnelles qui doivent garantir le mieux-être des enfants, Carrousel et Câlins a fait le choix des coûts plus élevés, donc d’une rentabilité plus faible : 

  • Coûts liés aux locaux, choisis plus grands que le minimum nécessaire
  • Coûts salariaux : 4,5 professionnelles par micro-crèche (y compris la référente technique pour 2 établissements)
  • Primes mensuelles
  • Coûts des équipes supports

Pour tous ces petits gestionnaires, solo indépendants ou franchisés, petits réseaux, le « syndrome du CAC 40 » est ressenti comme une insulte.

Ces slogans généralisateurs sont peu appropriés à une réalité, difficile pour la plupart des acteurs, individuels ou petits réseaux, qui sont loin de générer des surprofits.

Parmi ces « petits » acteurs certains sont-ils assoiffés de profits ? Peut-être, mais ils ont du mal à étancher leur soif. On l’a vu : la grande majorité d’entre eux peinent à trouver la rentabilité et n’arrivent pas à se verser de salaire.

Quelle est la part des gestionnaires sérieux et engagés qui cherchent le mieux-être des enfants à travers la concentration sur le bien-être des professionnels ? 

Personne ne peut répondre. 

Nous en connaissons beaucoup, tout comme nous connaissons des gestionnaires qui voient (ou ont vu) dans les crèches un moyen facile de prospérer. 

Seule certitude, le monde des crèches n’est pas l’eldorado qui permet de réaliser des gains faciles et les surprofits fantasmés constituent vraiment l’arbre qui cache la forêt.

Gilbert Mellinger
Fondateur du Réseau Carrousel et Câlins


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