Lettre ouverte à Madame Vautrin, Ministre
La concertation avant la publication du décret sur la qualité
09/02/2025
Madame la Ministre,
Je fais suite à votre réponse à une question orale de la Sénatrice, Madame Lermytte, le 5 février 2025.
Cette question orale, elle-même, faisait suite aux pétitions lancées à l’initiative des gestionnaires de micro crèches. Ces pétitions traduisent leur inquiétude face à l’avenir de leur établissement, compte tenu des décrets que vous envisagez de publier, sans concertation, et qui, selon ces mêmes gestionnaires, auraient pour conséquence le licenciement de milliers de diplômées du CAP AEPE et la disparition de milliers de places d’accueil.
Vous avez répondu qu’il n’y aurait aucun licenciement et vous avez fait une réponse en 2 temps :
- Les décisions prises ne concernent que les recrutements faits à partir de septembre 2026
- Les gestionnaires ont largement le temps, d’ici là, de se préparer
Nous ne comprenons pas votre première réponse.
Signifie-t-elle que les micro crèches existantes pourront continuer à fonctionner avec leur effectif actuel, sans avoir à appliquer la règle des 40% à partir du 1° septembre 2026 ?
- Si oui il faut réécrire le texte et on se demandera alors, naturellement, pourquoi mettre en place une règlementation si elle ne doit pas être appliquée.
- Si non, la mise en place de la règlementation au 1° septembre 2026, aura bien pour conséquence le licenciement de milliers de diplômées du CAP AEPE.
Je rappelle que le projet de décret vise à l’harmonisation des règles entre les différentes tailles de crèche. En particulier, elle veut imposer aux micro crèches la règle des 40% de salariées diplômées: auxiliaires de puériculture, éducatrice jeunes enfants; infirmières puéricultrices….
Sur la règle elle-même : elle créera un régime discriminatoire dans la mesure où elle obligera les micro-crèche à passer à 50% de salariés ayant un des diplômes requis, contre 40% pour les autres crèches.
Et cela pour 2 raisons, de pur bon sens, qui se cumulent :
- Il y a 4 professionnelles dans une micro-crèche. 40% de 4 font 1.6, soit 2 personnes, donc 2 salariés sur 4 = 50%
- Il faut une professionnelle diplômée le matin et le soir : pour des motifs de droit du travail et de respect de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, il ne peut s’agir de la même personne. ll faut donc bien 2 diplômées, soit 50% de l’effectif.
Au prétexte de sortir d’un régime dérogatoire, on crée un régime discriminatoire, qui impose des règles plus sévères à une catégorie de crèches qu’à une autre !!
Les équipes de micro crèches sont composées majoritairement de titulaires de CAP: EJE et 3 CAP ou AP et 3 CAP. Elles ont très rarement 2 AP ou 2 EJE.
Le nouveau régime discriminatoire imposerait la présence de 2 AP (ou d’une AP et d’une EJE), il faudra, de toutes les manières, recruter au moins 1 AP ou 1 EJE. Comme le modèle économique de la micro-crèche ne supporterait par 5 salariées, il faudra nécessairement licencier une titulaire du CAP.
Les conséquences :
- Le décret mettra à la rue des milliers de CAP (il y a plus de 7 000 micro crèches) qui auront beaucoup de mal à retrouver un emploi, puisque jugées “indignes et incapables de s’occuper d’enfants, sans la présence d’un diplômé “.
- Le décret forcera au recrutement de diplômées qui n’existent pas et que le gouvernement aura du mal à créer, même en 18 mois : il faut susciter des vocations, il faut 1 an de septembre à août pour une AP et 3 ans pour une EJE. Et lorsqu’elles arrivent sur le marché du travail, elles sont totalement inexpérimentées, ce qu’on ne peut leur reprocher.
- Le décret créera une ambiance exécrable dans les équipes : qui va être licencié ?
- Le décret imposera que les ouvertures et les fermetures soient toujours faites par des AP : impossible, tant sur le plan managérial qu’organisationnel..
- Que faire en cas de maladie ou de vacances ?
- Ce qui est possible avec des équipes de 10 personnes, ne l’est tout simplement pas avec une équipe de 4. Les règles doivent nécessairement être adaptées à la petite dimension des micro crèches.
Les licenciements annoncés dans les pétitions seront malheureusement la réalité, nonobstant, Mme la Ministre, votre affirmation.
La deuxième partie de votre réponse indique que les gestionnaires ont 18 mois pour se préparer.
Madame la Ministre, ce ne sont pas les gestionnaires qui doivent se préparer. C’est le gouvernement ! Vous imposez de recruter un type de diplôme, c’est à vous de faire en sorte que des personnes titulaires de ce diplôme existent.
Or, vous n’aurez pas le temps de mettre sur le marché de l’emploi ces milliers d’AP ou d’EJE, rendues nécessaires par les décrets. Rappelez-vous qu’il manque déjà 10 000 pro et 1 400 salariés pour des postes de direction (CNAF).
Il faut 1 an pour former une AP, de septembre à août et 3 ans pour une EJE. Mail il faut aussi beaucoup plus de candidats motivés et, à ma connaissance, aucune campagne massive pour stimuler des vocations n’est prévue.
La VAE non plus n’est pas une solution.
- Les gestionnaires ne décident pour le compte de leurs salariés de se lancer ou non dans le cursus de la VAE. Ce sont les salariés qui doivent faire ce choix, un choix dans lequel ils devront investir, temps, motivation et argent pour la plupart d’entre eux.
- Il faut entre de 12 à 18 mois, au mieux, avec des pro très motivées pour aller de l’envie au diplôme.
- Les VAE sont limitées par le nombre de jurys (2 par an).
- Pour maximiser leurs chances de réussite, les candidats doivent être accompagnés dans la rédaction de leurs 2 livrets. Ces accompagnements coûtent environ 1 000€, difficile pour beaucoup de CAP. (Chez Carrousel et Câlins, nous avons 22 candidates sur 122 salariés et nous les accompagnons gratuitement).
Par conséquent, les décrets prévus seront à la fois source de discrimination entre les différents types de crèches et entraineront des licenciements massifs, probablement aussi des fermetures de micro crèches et des pertes de solution d’accueil pour les parents.
Je ne peux m’empêcher une dernière réflexion.
Les micro crèches ont majoritairement été créés par des gestionnaires privés. Il est difficile de ne pas voir dans ces nouvelles obligations, de nouvelles mesures pour supprimer ce mode d’accueil. Soit de manière délibérée, soit par totale ignorance de la réalité.
Tragique à plus d’un titre.
- Tragique pour les enfants qui perdent un environnement épanouissant,
- Tragique pour les salariées qui perdent des conditions de travail agréables,
- Tragique pour les parents qui n’ont plus de solution d’accueil,
- Tragique pour les gestionnaires qui ont hypothéqués leur patrimoine pour emprunter,
- Tragique pour la France qui perd de précieuses places d’accueil et qui continuera de souffrir d’une terrible baisse de la natalité.
Madame la Ministre, changer d’avis, grandit celui qui se livre à l’exercice.
Madame la Ministre, au nom de l’intérêt collectif, changez d’avis et lancez les consultations avec les professionnels : salariés et gestionnaires.
La concertation avant la publication !
Nous ne demandons rien d’autre.