07 Sep 2023

L’agrément des crèches, limité dans le temps. Contrôle continu contre examen final ?

Épisode #9

Mme Borne 1° ministre a annoncé une mesure très étrange dans son discours d’Angers du 1° juin 2023. 

« Aussi, je vous annonce que nous allons renforcer nos capacités d’alerte, de contrôle et de suivi en cas de suspicion de maltraitance. »

« Nous souhaitons, par exemple, instaurer une fréquence minimale de contrôle pour les crèches, en limitant dans le temps leur durée d’autorisation. » p7.

Les gestionnaires sérieux ne peuvent que saluer le renforcement des capacités d’alerte, de contrôle et de suivi. Je ne comprends pas, en revanche, la relation entre la fréquence minimale de contrôle pour les crèches et la limitation dans le temps des agréments.

Rappelons que les crèches qui ont reçu une subvention à l’investissement s’engagent à exploiter leur établissement pendant 10 ans, au moins. L’agrément ne saurait avoir une durée inférieure. Du reste la question posée dans le document de la DGCS, mentionné plus loin, est 10 ans ou 15 ans ? Nécessairement, donc, une durée longue.

Contrôle ou audit ?

Le mot « contrôle » comporte une notion induite de recherche de la faute. Les chefs d’entreprise pensent immédiatement à contrôle URSSF, contrôle fiscal. 

L’audit, en revanche, suggère une démarche pro-active liée à l’identification de déviations par rapport à des règles claires, identifications qui deviendront autant d’axes de progrès que la structure devra mettre en œuvre dans un délai raisonnable. C’est exactement l’esprit des interventions de la PMI du 91. 

Il serait donc beaucoup plus sain de parler d’audit.

La fréquence des audits

Aucune indication n’est encore donnée sur la fréquence des audits. Je propose l’application d’une règle simple : plus tôt une déviation est identifiée, plus il sera facile de la corriger.

Un audit tous les 6 mois, permettrait cette identification précoce et la définition des corrections à mettre en œuvre. 

Cette fréquence permettrait, aussi et surtout, d’identifier très tôt, les gestionnaires indélicats, privés ou publics, qui se livrent à des pratiques contraires aux règles et qui s’obstinent à ne pas les corriger.

Il permettrait aussi la mise en œuvre (document de travail DGCS 20/06/2023) :

  • « D’un système gradué de sanctions 
    • Injonction, astreinte financière, sanction 
    • Administration provisoire, cession d’autorisation 
    • Fermeture d’établissements temporaire ou définitive
  • La mise en place d’une solution d’accompagnement préventif à disposition des gestionnaires qui connaitraient des difficultés (type IDA pour les PMI) : inscription d’une mission d’accompagnement des EAJE dans les missions des PMI. »

Le référentiel d’audit

Je relève avec intérêt la proposition de création de 2 référentiels (document de travail de la DGCSp9) dont l’objectif est de permettre l’évaluation de la qualité : 

« Etablissement de deux référentiels sur la base de la Charte nationale pour l’accueil du Jeune Enfant qui permettraient d’aboutir à une méthodologie d’évaluation de la qualité :

  • Référentiel des bonnes pratiques professionnelles
  • Référentiel des bonnes pratiques organisationnelles (analyse de la pratique, projet personnalisé pour l’enfant, etc.) » p9.

Sans ce référentiel, il ne serait pas possible de faire des audits objectifs et identiques sur tout le territoire. D’autant qu’on parle ici, entre autres, de l’audit de renouvellement d’agrément. Il est donc fondamental que tout le monde s’accorde sur les points à auditer ainsi que sur les délais donnés aux gestionnaires pour corriger les manquements relevés lors de l’audit….

D’ailleurs, si des manquements existent, cela est déjà un mauvais signe, puisque le gestionnaire savait que l’audit allait avoir lieu, qu’il connaissait les manquements et qu’il a attendu que l’audit relève ces manquements pour commencer à les corriger, s’il ne veut pas voir son agrément non renouvelé.

Qui conduit les audits ?

Ce point est loin d’être tranché. Le document de travail parle de la :

« Définition d’un plan de contrôles coordonné entre le conseil départemental, la caisse d’allocations familiales et l’Etat, comprenant des contrôles conjoints (échelon CDSF): cela permettra également de créer des espaces de réflexion sur les contrôles réalisés. » p12

Est-ce à dire que les EAJE seront contrôlés par 3 ou 4 organismes différents, probablement à des moments différents ? 

Le temps des gestionnaires ne peut être gaspillé sur la multiplication des contrôles faits par des organismes différents, sur des sujets parfois proches.

C’est donc à bon droit que la #FESP (Fédération des Entreprises de Service à la Personne) réclame :

« Au même titre qu’il convient de clarifier le rôle de chaque entité, il est important de définir également les éléments qui devront être contrôlés par chacune de ces entités. Cela permettra une mutualisation des contrôles tout en limitant la démultiplication de contrôles portant sur des périmètres parfois identiques. » 

Note à la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) et au Comité de Filière Petite Enfance (CFPE) (juin 2023).

Quel est l’intérêt du principe de renouvellement des autorisations ?

Cela étant exposé, se pose réellement la question de l’intérêt de la limitation dans le temps des autorisations. 

Le document de travail de la DGCS répond à la question :

« La limitation dans le temps de l’autorisation des EAJE garantira un regard régulier par le conseil départemental sur le fonctionnement des établissements. » p9.

Si tel était le cas, ce serait dramatique : « un regard régulier tous les 10 ans » montrerait le total désintérêt du Conseil Départemental pour les EAJE. Heureusement qu’il n’en n’est rien : les PMI qui dépendent du Conseil Départemental et qui instruisent les dossiers d’autorisation sont à la manœuvre tous les ans.

L’objectif est donc totalement discutable !

Je fais l’hypothèse de la mise en place de 2 mesures :

  • Une fréquence élevée des audits : tous les 6 mois ou tous les ans
  • Un référentiel d’audit clair qui précise les règles des bonnes pratiques professionnelles et des bonnes pratiques organisationnelles

Deux situations peuvent alors se produire :

  • Les gestionnaires, à chaque audit périodique, soit, sont dans le respect des règles ou corrigent les manquements constatés lors des audits réguliers, 
  • Les gestionnaires indélicats qui ne respectent pas les règles auront été éliminés par la mise en œuvre des sanctions graduées.

L’audit de renouvellement d’autorisation est donc totalement sans intérêt.

Il ne sera que du temps supplémentaire et inutile à consacrer par les personnes chargées des audits et par les gestionnaires dont l’essentiel du temps doit être investi dans leurs établissements et le respect des règles. 

Beaucoup de temps et d’argent investi pour rien.

2 questions techniques liées à la limitation dans le temps des agréments

La durée des baux

Ils sont en général du type 3-6-9. L’audit de renouvellement se ferait sans doute dans la dixième année (si l’autorisation est de 10 ans). Un nouveau bail d’au moins 3 ans serait alors déjà engagé.

Dans l’hypothèse d’un non-renouvellement de l’agrément, le gestionnaire se trouverait dans une situation extrêmement délicate : 

  • Une crèche aménagée par la mobilisation de lourds investissements
  • Un personnel présent qu’il faudra licencier
  • Un bail dont il restera au moins 2 ans à courir avant son terme. 
    • Des loyers à payer, sans recettes. 
    • Un grand risque de faillite personnelle du gestionnaire qui est parfois caution sur le paiement des loyers.

Les contrats d’accueil des familles

Dans l’année du renouvellement, le gestionnaire ne pourra pas arrêter d’accueillir des enfants au prétexte qu’un audit de renouvellement d’agrément va être engagé : il ne pourrait plus assumer ses charges d’exploitation. L’activité s’arrêterait et, paradoxalement, l’audit de renouvellement deviendrait sans objet.

Il devra donc continuer à conclure des contrats d’accueil, en général d’un an. En cas de non-renouvellement de l’agrément, il sera engagé contractuellement avec des familles auxquelles il ne pourra plus apporter la prestation.

Un grand risque de contentieux. On pourra, entre autres, lui reprocher d’avoir conclu des contrats qu’il n’était pas sûr de pouvoir honorer et pour cause.

Il pourrait évidemment dire aux familles que l’accueil des enfants est susceptible de s’arrêter en cours de contrat. Quels sont les parents qui s’engageraient dans ces conditions ?

Terrible cercle vicieux dont le gestionnaire ne pourra pas sortir.

Les contrats de travail des salariés

Au moins 3 questions simples vont se poser :

·       Comment va-t-il expliquer à son équipe qu’elle pourra bientôt ne plus avoir de travail ?

·       En cas de démission d’une salariée au cours de l’année du renouvellement, comment le gestionnaire pourra-t-il recruter ? En expliquant que sa crèche sera bientôt fermée ? En cherchant un CDD, tout en sachant qu’il n’y a peut-être pas de perspective pour le salarié. Pire, en ne recrutant plus, car lui-même est dans l’incertitude, le tout au détriment de enfants.

·       En cas de non renouvellement, qui prendra en charge les dépenses liées aux licenciements de l’équipe ?

Dans tous les cas, la création de situations très compliquées, sans aucun avantage pour personne.

Qui est concerné par les contrôles réguliers ?

Tout le travail en cours, toutes les recommandations concerne les crèches. Aucune mention n’est faite des assistantes maternelles et des MAM (maisons d’assistantes maternelles).  Alors que chaque enfant, chaque parent a un légitime droit à un accueil de qualité, d’autant que les MAM peuvent accueillir jusqu’à 16 enfants.

Il serait naïf de supposer que dans l’accueil individuel et dans la variante collective de l’accueil individuel, les MAM, la qualité soit acquise. Des contrôles, avec la même fréquence que dans les crèches sont tout aussi indispensables. Je renvoie à l’épisode 3 de ce feuilleton de l’été qui traite de la « Qualité ». J’y évoque les maltraitances et crimes commis par des assistantes maternelles.

Nous ne pouvons donc que souscrire à la demande, là aussi faite par la #FESP : 

« Sur le périmètre des acteurs concernées par les mesures envisagées en termes de contrôle et qualité, il est indispensable que tous les acteurs qui relèvent de l’autorité des PMI soient expressément inclus par ces démarches. A ce titre, toutes les mesures évoquées doivent être opposables aux Assistants maternels et Maisons d’assistants maternels afin de garantir un objectif de qualité renforcée au sein de tous les modes d’accueil. » p1-2.

On voit donc que se pose, aussi dans le monde de la petite enfance, la sempiternelle question qui se pose dans les écoles :

Contrôle continu ou examen final ?

J’opte très clairement pour le contrôle continu et l’absence de renouvellement qui est l’exemple même de vraie fausse bonne idée.

Gilbert Mellinger
Fondateur du Réseau Carrousel et Câlins


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Le prochain épisode :

Lettre ouverte à Mme Aurore Bergé : Ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées de France

Retrouvez les épisodes précédents :

Les meurtres de bébés : La dramatique conséquence du huis clos et des écarts de qualité entre les modes d’accueil

200 000 places en plus ou 100 000 places en moins ? 

La qualité ? La même dans tous les modes d’accueil !

200 000 places de crèche ou 200 000 places d’accueil ?

Créer 200 000 de places d’accueil : Peut-il se faire sans les micro-crèches ?

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La formation des pro de la Petite Enfance

  • Auxiliaires de Puériculture (AP) : 1570 heures
  • CAP Petite Enfance : 609 heures
  • Assistantes maternelles : 80 heures

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