14 Août 2023

La qualité ? L’inacceptable inégalité structurelle des enfants entre les différents modes d’accueil

Épisode #2

Pour mémoire, le Service Public de la Petite Enfance (SPPE) vise à permettre à chaque parent qui le souhaite d’accéder à une « solution d’accueil de qualité ».

La qualité est un sujet central du rapport IGAS (03/23). Le titre du rapport est là pour nous le rappeler : « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches ». #rapportigas 

Dans le rapport qui compte 88 pages hors annexes, le mot qualité apparaît 221 fois. Même le mot crèche est utilisé moins fréquemment : 204 fois.

Le rapport fait le distinguo entre : 

  • « La qualité structurelle désigne les éléments, notamment normatifs, qui assurent un cadre de qualité (haut niveau de formation des professionnels, taux d’encadrement favorable, taille réduite des groupes…) et 
  • La qualité des processus renvoie à la qualité des interactions (verbales, visuelles, affectives, physiques…) et à la pratique concrète, mais plus difficilement mesurable, de l’accueil. » p18

Le rapport précise que : 

« Lorsque la qualité est envisagée, elle ne l’est que sur le plan normatif de la qualité structurelle (taux d’encadrement, niveau de qualification, normes bâtimentaires…) et non au titre de la qualité des processus, c’est-à-dire de la qualité réelle de l’accompagnement de l’enfant, dont la qualité structurelle n’est qu’une condition. Cette qualité de processus n’est appréhendée par aucune orientation ou norme claire p21 »

La concentration sur la qualité est telle, que le rapport va même jusqu’à préconiser la fin de la création de places, au profit du travail sur la qualité :

« La mission considère que la priorité doit être accordée dans la prochaine COG à la montée en qualité et à la consolidation des établissements existants plutôt qu’à l’investissement, la dynamique de création de places étant en tout état de cause fragilisée par la pénurie de professionnels. » p76 

En cela, et ce n’est pas le seul point, le rapport est largement contredit par la CAF, tout comme, par les objectifs fixés par le gouvernement de création de 200 000 places d’accueil « supplémentaires » à horizon 2030.

Mais l’exigence de qualité, à laquelle la très grande majorité des gestionnaires de crèches et de micro-crèches souscrivent totalement, ne doit pas être réservée à la minorité des enfants accueillis dans les crèches : ils ne sont « que » 470 000 en crèche. 

Ils sont 840 000 enfants chez les assistants maternels ! L’exigence de qualité doit être une obligation, également pour ces enfants, dans l’intérêt des enfants !

Je le répète : au nom de l’intérêt de l’enfant, l’exigence de qualité doit être identique, quel que soit le mode de qualité : « garantir un accueil de qualité à tous les enfants et leurs familles ». (site du ministère des solidarités et des familles : le service public de la petite enfance 07/07/2023) 

L’accueil individuel, les assistantes maternelles, doit impérativement être intégré dans cet objectif de qualité. C’est le droit le plus strict des enfants. Cela permettra peut-être aussi d’éviter le grand nombre de meurtres de bébés constaté dans l’accueil individuel.

D’ailleurs, ce point de l’exigence identique de qualité est mentionné dans le « volet qualité du service public de la petite enfance » :

« S’agissant des professionnels de l’accueil individuel, cette évolution s’inscrira dans le cadre du pilotage qualitatif de l’offre d’accueil par les autorités organisatrices (les commune), sur leur ressort territorial ».

Surprise : c’est donc au niveau local que devra être géré la qualité de l’accueil individuel ? Par des autorités organisatrices qui mettront quelques années à se mettre en place, à gagner en compétence, sans référentiel national, sans modification des temps de formation…

La qualité d’accueil individuel est donc encore loin d’être au rdv et elle sera loin d’être homogène sur tout le territoire !

Si cet objectif de qualité est difficile à atteindre dans les crèches, ce sera encore plus difficile dans les domiciles des assistantes maternelles. 

On peut évidemment considérer que l’accueil individuel est à l’abri des dysfonctionnements et que la maltraitance n’y existe pas. 

L’intuition met à mal ce postulat, mais aussi les faits. Qu’on en juge à travers 2 affaires et un témoignage.

2 affaires de maltraitance portées devant les tribunaux :

Bourgoin-Jallieu. Juin 2023. Une assistante maternelle condamnée à 8 mois de prison avec sursis et interdiction d’exercer le métier. Les faits : les parents soupçonnent la nounou de maltraitance. Le papa installe un micro dans le doudou de son enfant. Ce que les parents découvrent est affligeant : « Dans ces audios, on l’entend porter les enfants et les jeter par terre ou sur le canapé, puis on entend le bébé hurler. Les enfants sont rabaissés toute la journée, en des termes très vulgaires comme ‘sale bébé de merde’, ‘vous me fatiguez’, ‘vos couches sont pleines de pisse’… » Deux enfants étaient concernés par ces pratiques de maltraitance. TF1 Info

Toulouse. Décembre 2016. Les parents installent une caméra dans le sapin de Noël après des soupçons de maltraitance de la part de leur nounou à domicile. « Lundi 5 décembre 2016, le père a vu la scène en direct alors qu’il était au travail, indique une source proche du dossier à LCI ce lundi. La petite fille ne voulait pas manger son dîner, la nounou était excédée. Elle lui a tiré les cheveux, puis l’a giflée à plusieurs reprises. Il est rentré tout de suite chez lui, et a renvoyé l’employé avant de se rendre au commissariat le lendemain matin ». La quadragénaire a été mise en examen pour « violences habituelles sur mineur de 15 ans » et placée en détention provisoire à la maison d’arrêt de Toulouse.  TF1 Info

Le témoignage poignant de cette maman qui découvre les faits de maltraitance grave dont s’est rendue coupable la nounou de sa fille (France 2, 23/09/2021, émission ça commence aujourd’hui) Sa fille a été maltraitée par sa nounou – Ça commence aujourd’hui – YouTube 172 763 vues

  • La nounou mettait la tête de sa fille sous l’eau quand elle n’était pas sage
  • La nounou faisait manger ses selles à l’enfant quand elle salissait sa couche culotte
  • La nounou a jeté un ballon sur la tête de sa fille pour la faire descendre du toboggan

Mais il y a trop souvent encore plus grave : le handicap à vie. 2 exemples, parmi des centaines : 

  • Chloé a été secouée par sa nounou à l’âge de 4 mois. 5 ans plus tard, en 2017, Chloé a gardé de lourdes séquelles de l’accident. Elle est atteinte de gros troubles moteurs, raconte sa maman. « C’est très difficile de voir ça. Très difficile. » La jeune maman aussi, a gardé des traumatismes. Elle a eu deux autres enfants depuis, mais il lui est impossible de les confier à des tiers. « La confiance en l’autre, je ne l’ai plus du tout ». La nounou a été condamnée à 7 ans de prison. JT LCI 
  • Annecy. Cour d’assises de la Haute-Savoie. 3 juillet 2020. Une nounou d’Hery-sur-Alby âgée de 43 ans a été reconnue coupable de violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente sur un bébé de cinq mois. Elle a été condamnée à sept ans d’emprisonnement.
    Aujourd’hui âgé de cinq ans, le petit garçon conserve d’importantes séquelles : paralysie du côté gauche, prothèse oculaire, crise d’épilepsie…
    Sa mère a raconté au tribunal son calvaire. « Notre bébé a été cassé en mille morceaux par un tiers en qui on avait confiance. »
    L’assistante maternelle a été condamnée à 7 ans de prison. France Bleue Pays de Savoie.

Edifiant ! Edifiant, également, le silence qui entoure ce genre d’affaires et le peu d’intérêt qu’elles suscitent auprès des autorités. Sans parler de ces actes criminels, nombreux, aux conséquences beaucoup plus lourdes.

La qualité est l’affaire de tous les modes d’accueil ! Elle est une exigence légitime pour tous les enfants et pour tous les parents.

Il est exclu que 840 000 enfants accueillis chez les assistantes maternelles n’y aient pas droit, au même titre que les 470 000 enfants accueillis dans les crèches.

Il est exclu également que « micro-crèche » soit assimilé à accueil de « faible qualité » comme le suggère le paragraphe ci-dessous, extrait du dossier de presse « Le Service Public de la Petite Enfance » (01/06/2023) :

« Une mission sera lancée sur le modèle de financement des micro-crèches financées par la prestation d’accueil du jeune enfant afin de garantir une meilleure qualité de l’accueil. » p9

Mme Borne, 1° ministre, l’a réaffirmé dans son discours du 1° juin 2023 : 

« Agir pour créer des places est une chose, mais nous devons dans le même temps veiller à plus d’égalité entre les différents modes d’accueil. » p5

La première des égalités est l’égalité devant la qualité d’accueil qui ne doit pas et ne peut pas être l’apanage des crèches ! 

C’est aussi ce qui est rappelé dans le dossier de presse « Service public de la petite enfance : garantir un meilleur accueil du jeune enfant » (01/06/2023)

 « Garantir une qualité d’accueil équivalente entre les différents modes d’accueil » p18

Mesdames, Messieurs les politiques, ne vous trompez surtout pas de bataille ! 

Un énorme travail de fond doit aussi être entrepris au niveau de l’accueil individuel, qui ne peut pas être à l’abri d’une réforme en profondeur pour assurer, au minimum, la sécurité des enfants, avant même que d’arriver à un niveau de qualité acceptable.

Gilbert Mellinger

Fondateur du Réseau Carrousel et Câlins


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Prochain épisode, le 17/08/2023 : 200 000 places de crèche ou 200 000 places d’accueil ?

Et les autres épisodes à venir :

Pourquoi la croissance du nombre de places de crèches 
ne peut pas se faire sans les micro-crèches.

Les places d’accueil Petite Enfance
Politique de l’offre ou politique de la demande

La formation des pro de la Petite Enfance : le grand écart 
– Auxiliaires de Puériculture (AP) : 1570 heures
– CAP Petite Enfance : 609 heures
– Assistantes maternelles : 80 heures

Le renouvellement des autorisations pour les crèches
Vraie fausse bonne idée !

Les meurtres de bébés
La dramatique conséquence de l’huis clos systémique 
et des écarts de qualité entre les modes d’accueil

Retrouvez les épisodes précédents :

200 000 places en plus ou 100 000 places en moins ? 

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