Bébés secoués : La violence inavouable. Qui est responsable ?
Épisode #8
C’est le titre d’un documentaire réalisé par Anne Palmowski, qu’on a pu voir sur la chaîne Public Sénat le 28 janvier 2023. Un documentaire bouleversant, tout en retenue qui montre l’enfer vécu par des mamans dont le bébé a été assassiné, par le père, pour 2 d’entre elles, par la nounou, pour la troisième.
Le témoignage de 3 mamans est enrichi et illustré, notamment, par les explications du Dr Anne Laurent Vannier, Présidente du groupe de travail HAS sur le Syndrome du Bébé Secoué et par Sylvie Vernassière, avocate des parents de Rose, l’enfant tué par la nounou.
Le texte d’annonce du documentaire explique :
« Chaque année en France, environ 500 bébés sont secoués par l’adulte qui en a la charge. 10 à 20 % d’entre eux vont en mourir. Ce chiffre, vertigineux, dépasse de loin celui déjà tragique des féminicides. Pourtant, ce phénomène reste un véritable tabou dans notre société, et le « syndrome du bébé secoué » est clairement méconnu du grand public, de la justice, parfois même du personnel soignant. A travers la trajectoire d’Aude, de Marie, et de Pauline, trois mamans touchées de plein fouet par cette tragédie, ce documentaire se propose de déconstruire pour la première fois tous les clichés qui pèsent sur cette maltraitance, encore très peu sanctionnée par les tribunaux. »
Les premières images du documentaire sont glaçantes :
70% des auteurs sont des hommes 20% sont des nounous Et seulement 10% sont les mères
L’IGAS a déjà réalisé un une enquête et produit un rapport sur les infanticides commis au sein des familles. « Morts violentes d’enfants au sein des familles » Mai 2018.
Rien, en revanche, aucune enquête, aucun rapport n’a jamais été réalisé depuis 2005 sur les bébés tués ou rendus infirmes par les assistantes maternelles. Pourtant si on applique les 20% aux 500 cas, le chiffres est effrayant :
2 bébés secoués par semaine par des nounous !
Rien non plus, dans le « Plan de Lutte contre les Violences Faites aux Enfants 2024-2027 » présenté en Conseil des Ministres du 7 juin 2023 par Mme Borne, Première ministre. La lutte contre les violences faites aux enfants avait pourtant été érigée en priorité par la Première ministre lors du premier comité interministériel du 22 novembre 2022.
Rien surtout, n’a été entrepris pour réformer le système de l’accueil individuel du jeune enfant, alors qu’il est le terreau de ces violences meurtrières qui font partie des « violences faites aux enfants », en l’espèce, les plus fragiles d’entre eux.
C’est le système de l’accueil individuel qui est responsable !
Un système qui est met des individus en situation de passer le ligne rouge ! Un système qui repose sur 3 piliers.
Un adulte seul avec 1 à 4 enfants en bas âge
Le système est construit autour d’un huis clos qui enferme les enfants en bas âge avec un adulte qui peut agir sans garde-fou et transformer les enfants dont il a la charge, en victimes sans défense.
Rappelons que dans les crèches il faut au minimum 2 personnes en permanence avec les enfants. Les nounous sont seules, 10h-12h par jour avec 3-4 enfants.
Si c’est le système qui est responsable, il faut se poser la question : comme est construit le système ?
La sélection des assistantes maternelles
Les assistantes maternelles sont sélectionnées par la PMI (Protection Maternelle Infantile). Sur quels critères ? Maître Vernassière, avocate des parents de Rose, constate qu’on « confie des enfants à des personnes qui ne devraient pas être amenées à en garder ».
Les critères de sélection sont décrits dans un document très complet : « Référentiel de l’agrément des assistants maternels à l’usage des services de protection maternelle et infantile ».
Ils sont clairs et sérieux. Ils portent sur :
La motivation, la bonne condition physique et mentale
La composition du foyer
La connaissance du métier et de ses responsabilités
La maîtrise des notions élémentaires de petite enfance
La conformité des lieux d’accueil
Il est vrai que les services de la PMI doivent aussi tenir compte dans leur sélection, de la pénurie de candidats et de la diminution très forte du nombre d’assistants maternels en exercice : 50 000 places disparaissent chaque année depuis 2020. Cette situation a-t-elle une incidence sur la sélection des candidats ?
Le système fonctionne, « globalement ». Des dizaines de milliers de nounous font leur travail avec conscience et cœur.
Il y a, malheureusement aussi, quelques centaines de nounous à l’origine de drames irréversibles.
La formation insuffisante des candidats « assistants maternels »
Le contenu de la formation est présenté sur le site « service-public.fr ».
Le texte détaille le contenu :
Sécurité psycho-affective et physique dont la formation aux gestes de premier secours, soins d’hygiène, confort de l’enfant, continuité des repères entre vie familiale et mode d’accueil, accompagnement de l’enfant dans son développement, son épanouissement, son éveil, sa socialisation et son autonomie.
Droits et devoirs de la profession, de la relation contractuelle avec l’employeur et les autres professionnels de l’accueil du jeune enfant, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de l’assistante maternelle
Dispositifs d’accueil du jeune enfant, cadre juridique, sociologique et institutionnel de l’enfant, de la famille et connaissance des missions et responsabilités de l’assistante maternelle en matière de sécurité, de santé et d’épanouissement de l’enfant.
Protection de l’enfance en danger.
La formation ne prévoit rien sur la maltraitance, active et passive. Il n’y a rien non plus sur la prévention du syndrome du bébé secoué. Elle comporte un volet étrange sur « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de l’assistante maternelle ». Il n’y a-t-il pas erreur sur la personne qu’il faut protéger ?
La formation est dispensée sur 120H en 2 temps :
80H avant de pouvoir accueillir un enfant
40H dans les 3 ans qui suivent la première formation
Il n’y a aucune obligation de formation continue pour les assistantes maternelles, à l’exception des 40H de complément de formation à la formation initiale.
Pour mémoire, les temps de formation des professionnels de crèche sont beaucoup plus longs :
609H pour un CAP AEPE
1570H pour un auxiliaire de puériculture
Les autorités sont pourtant fortement sensibilisées au problème des enfants secoués. Au point de lancer une campagne de prévention en janvier 2022. Ci-dessous des extraits du dossier de presse :
« Une priorité de santé publique »
« Les cas de bébés secoués ne sont pas des faits isolés. Chaque année, plusieurs centaines d’enfants en sont victimes »
« Pour alerter et faire la lumière sur la réalité de ce phénomène, le Gouvernement se saisit du sujet à travers une campagne de sensibilisation nationale.
Cette initiative d’Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, soutenue par des experts et des parents témoins, repose notamment sur la diffusion d’un film choc qui rappelle l’essentiel : secouer un bébé est une maltraitance qui peut être mortelle. »
« Avec pour objectif d’attirer l’attention du grand public, le spot de la campagne met implicitement en scène, par l’intermédiaire du son d’un babyphone, un agresseur secouant brutalement un enfant.
Un parti-pris qui vise à positionner le syndrome du bébé secoué comme étant un acte de maltraitance perpétré par un adulte violent, et seul responsable. »
Dossier de presse janvier 2022
M. Adrien Taquet, alors secrétaire d’État à l’enfance et aux familles, avait précisé :
« Plus de 500 enfants chaque année sont diagnostiqués, avec dans un cas sur dix, au moins, le décès et dans trois quarts des cas, un handicap qui l’accompagnera toute sa vie»
Les types de handicap sont précisés.
« Les bébés qui survivent aux secouements connaîtront des séquelles très lourdes dues à des lésions cérébrales :
Un retard du développement psychomoteur ou des handicaps moteurs ;
Des troubles cognitifs et des difficultés d’apprentissage ;
Des problèmes de comportement ;
Des troubles de l’alimentation ;
Des troubles du sommeil ;
Un déficit visuel ou une cécité ;
Un déficit auditif ou une surdité ;
Des crises épileptiques. »
Terrible !
Qui est responsable ?
Si on met côte à côte les éléments qui précèdent, nous avons :
D’un côté,
Un système d’accueil qui repose
sur un huis clos entre un adulte, seul 10-12 heures par jour, avec 3-4 enfants en bas âge
sur une formation initiale très courte et une formation continue inexistante,
un système que les autorités n’envisagent pas de changer pour protéger les enfants,
De l’autre côté,
Des autorités parfaitement au courant du gravissime défaut du système de l’accueil individuel, au point de lancer une campagne de prévention contre un acte barbare, le SBS.
On se demande alors, si les parents, dont l’enfant a été victime de cet acte barbare, ne pourraient pas intenter une action en justice pour mise en danger d’autrui.
On sait et on laisse faire !
Dans les témoignages poignants de parents interviewés lors des émissions de télévision consacrées au sujet, on constate un point commun à tous les parents : « ils faisaient confiance ».
Souvent, la nounou leur avait été recommandée par d’autres parents, ils ont eu le « feeling ». « On pensait avoir trouvé la perle ».
Mais aussi et surtout, la nounou avait reçu un agrément après sélection, examen du dossier et formation.
La nounou était conforme aux exigences du système, donc reconnue capable d’accompagner dans les premières années de leur vie des enfants totalement dépendants de l’adulte.
Le problème : le système est clairement défaillant puisqu’il génère 2 actes criminels par semaine et détruit des vies, celles des enfants et celles des familles.
Les juristes répondront.
Il faut faire vite et corriger le système !
La première étape doit être une enquête IGAS qu’il faut diligenter d’urgence :
« Sécurité, qualité de l’accueil et prévenance de la maltraitance dans l’accueil individuel »
Le rapport sera rendu public. Les préconisations mises en œuvre rapidement.
La situation est réellement grave. Qu’on en juge à travers les témoignages recueillis. Le lecteur en trouvera beaucoup d’autres. Les liens vers certaines interviews sont donnés ci-dessous. Les larmes viennent, lorsqu’on a la force de les regarder jusqu’au bout.
On ne peut qu’éprouver une immense compassion envers les parents mais aussi une toute aussi immense admiration, tant les parents qui trouvent la force de témoigner sont dignes, courageux et dans la retenue.
Ils méritent qu’on repense le système de l’accueil individuel, pour eux, pour leur enfant assassiné.
« Syndrome du bébé secoué : des vies brisées » diffusée le 03/04/2023 à 13h50 sur France 2. Faustine Bollaert
Raphaël, polyhandicapé
Tom, Assassiné
Public Sénat, « Bébés secoués, la violence inavouable » diffusé le 28/01/2023
Rose, assassinée
Une des dernières séquences du film « Bébés secoués » montre un mur sur lequel sont affichés les noms et âges des enfants victime de ce crime, avec une supplique :
“Ne les oublions pas !”
Bébés secoués La violence inavouable
Il n’y a rien à ajouter.
Gilbert Mellinger
Fondateur du Réseau Carrousel et Câlins
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