Petite enfance : La France a-t-elle misé sur le « low cost » en hypothéquant l’avenir ?
La France se débat depuis 3-4 ans pour faire sortir de l’ornière, son modèle d’accueil de la petite enfance.
Pourquoi ? Parce qu’elle a fait un choix singulier : miser massivement sur l’accueil individuel par les assistantes maternelles.
En 2023, ce mode représentait 55 % de l’offre d’accueil en France, contre 28 % au Danemark, 26 % aux Pays-Bas, 15 % en Allemagne et au Royaume-Uni, et à peine 3 % au Portugal (CNAF août 2023 p3) : aucun autre pays européen n’a poussé aussi loin ce modèle de l’accueil individuel.
Pourquoi ? Parce que l’accueil individuel est moins cher !
L’IGAS (mai 2025, publié en septembre 2025) : « En l’absence de gros travaux d’infrastructure, la création de places d’accueil au domicile d’un assistant maternel s’avère moins coûteuse et plus rapide à concrétiser que la création de places en structure collective. » p94.
L’IGAS chiffre cette économie (p23) : 5,5 Mds € par an pour l’accueil individuel en 2023, contre 9,1 Mds € pour l’accueil collectif. Une économie annuelle, séduisante, de 3.6 Mds € pour les finances publiques.
Mais cette stratégie est un piège et la France la paie très cher, de 2 façons.
Un modèle fragilisé par le déclin des assistantes maternelles
Partout en Europe, le nombre d’assistantes maternelles s’effondre. Au Royaume-Uni, leur effectif a diminué des deux tiers depuis 1996. Au Danemark, il a été divisé par deux entre 2007 et 2021 (CNAF août 2023). La France suit la même pente : le vieillissement et la faible attractivité du métier laissent présager la disparition de près de la moitié des professionnelles d’ici 2030.
Dans les pays où elles ne représentent qu’une minorité de l’offre, comme le Portugal, l’impact sera limité. Mais en France, qui a misé sur le « tout-assistantes maternelles », l’effet sera catastrophique: des dizaines de milliers de places perdues, sans solution alternative rapide et autant de familles sans solution d’accueil.
Le problème de la qualité et du contrôle
Au-delà de la quantité, il y a la question de la qualité. L’accueil individuel se déroule derrière les portes d’un domicile privé, avec un contrôle très limité.
La lettre de mission confiée à l’IGAS en 2024 par Madame El Hairy, alors Ministre, demandait d’évaluer les risques graves, notamment le syndrome du bébé secoué (SBS).
Le rapport publié en septembre 2025 est resté étrangement et totalement muet sur ce point.
Les faits divers rappellent pourtant régulièrement les dérives possibles : violences, négligences, parfois mort du bébé. Selon Public Sénat, près d’une centaine de cas graves de SBS seraient recensés chaque année : 25 meurtres, 70 enfants lourdement handicapés à vie.
Parmi les faits divers les plus récents, identifiés rien qu’en septembre 2025 :
- 30 septembre 2025 : tribunal correctionnel de Marseille. Jugement d’une assistante maternelle pour maltraitance : insultes, cris, délaissement. « J’avais mis mon fils dans le maison des horreurs » a dit la maman.
- 25 septembre 2025 : tribunal de Compiègne. Procès pour maltraitance : l’assistante maternelle avait brisé les 2 bras et 1 jambe à un bébé de 6 mois. Prison ferme et interdiction d’exercer une activité en lien avec des mineurs … pendant 10 ans.
- 15 septembre 2025 : tribunal de Caen. Procès pour meurtre. Loïs meurt après avoir été secoué par son assistante maternelle. Prison ferme et interdiction d’exercer une activité en lien avec des mineurs.
Qu’on ne me dise pas, ce qui est fréquemment fait, que je m’en prends aux assistantes maternelles. J’admire les personnes qui font le choix de ce métier difficile qui demande tellement de qualités.
Je m’en prends au système, un système qui repose sur le huis clos d’un logement privé qui permet, de trop nombreuses fois, à des penchants brutaux et mortifères de s’exprimer.
Le vrai prix du « low cost »
En apparence, la France économise 3,6 Mds € par an en privilégiant l’accueil individuel. Mais à long terme, le coût est double :
- Un effondrement de l’offre à mesure que le nombre d’assistantes maternelles diminue,
- Un coût humain et social à travers des drames évitables : bébé tués ou mutilés.
Pendant ce temps, les pays européens qui ont investi dans les crèches bénéficient d’une offre plus stable et mieux contrôlée.
Sortir de l’impasse
Le modèle français n’est plus tenable. Miser encore sur l’accueil individuel, c’est préparer la crise de demain. Il est temps de :
- Arrêter le « micro-crèches bashing »
- Investir massivement dans les crèches et les micro-crèches,
- Développer les solutions hybrides : maison d’assistantes maternelles et crèches familiales, en imposant les mêmes règles que pour les crèches,
- Renforcer la formation et le contrôle.
L’accueil collectif coûte plus cher, mais il garantit de bien meilleures qualité, sécurité et stabilité. Comme l’a montré la commission d’enquête parlementaire sur les crèches en 2024, vouloir accueillir « au prix le plus bas » conduit à fragiliser l’ensemble du système.
En petite enfance, économiser aujourd’hui, c’est payer beaucoup plus cher demain, en places manquantes, en inégalités accrues, en vie professionnelles compromises et trop souvent, en vies brisées.